La conception de l’élan vital exposée dans L’évolution créatrice joue un rôle majeur dans la théorie bergsonienne de l’évolution de la vie. Cette conception aurait-elle aussi joué un rôle dans l’élaboration de la doctrine exposée dans Les deux sources de la morale et de la religion ? En quoi peut-elle être liée à la distinction par Bergson de “deux sources” de la morale et de la religion ? La première source de la morale et de la religion résulte de l’arrêt de l’élan vital et d’un mouvement de “clôture” des sociétés. Cela se traduit par la formation de la “morale de pression” (pression impersonnelle que, pour maintenir l’ordre social, la société exerce sur l’individu, lequel vit cette pression sur le mode d’une habitude presque inconsciente) et de la “religion statique” (dont les productions fantasmatiques ont, comme l’obligation morale, la fonction d’assurer la cohésion du groupe humain et la “conservation de la vie sociale”). A ce mouvement s’oppose l’ “ouverture” par laquelle l’humanité peut, en se replaçant dans le mouvement de l’élan vital, devenir créatrice d’elle-même : en témoignent la “morale d’aspiration” (des “individualités privilégiées”, dont l’exemple est un “appel” personnel adressé à chacun, entraînent l’humanité dans leur dynamisme créateur, qu’ils tiennent de leur “coïncidence” avec l’élan vital) et la “religion dynamique” (dont la forme la plus achevée est le mysticisme chrétien, caractérisé de “mysticisme complet”, parce qu’il est “agissant” : l’action des grands mystiques continue en effet l’effort créateur de l’élan vital). Cette deuxième source de la morale et de la religion tient sa vitalité et sa créativité de l’élan vital même. Et Bergson, en reliant cette deuxième source à des origines judéo-chrétiennes, est ainsi conduit jusqu’au seuil du christianisme.